Le mouvement des jeunes socialistes (MJS) fête cette année les vingt ans de son autonomie, en langage de jeune socialiste cela veut dire qu'il définit lui-même sa ligne et sa direction politique. Mais il demeure hébergé et financé par le PS.
Quand on parle du MJS dans la presse, c'est rarement pour lui dresser des lauriers. Si cela est du tant à la dépolitisation ou la superficialité de certains journalistes, c'est aussi du à une certaine image que renvoient une poignée de cadres qui masquent les réalités militantes d'une base qui est sincère même dans ses excès.
Car comme tout organisation de jeunesse, le MJS n'est pas un Mouvement sage. A l'inverse des jeunes populaires, le MJS n'est pas un ramassis de filles ou fils à papa qui seraient génétiquement incapables de respirer l'air coloré des quartiers populaires. Ce n'est pas non plus une de ces puissantes écoles de formation politique et organisationnelle qu'ont pu être la JC ou la JCR...
La nature même du MJS en fait une organisation bizarre et ce n'est même pas de la faute de ses dirigeants successifs car, il faut reconnaître qu'il ne va pas de soi d'être jeune socialiste, c'est-à-dire assumer le fait d'être éloigné d'une certaine radicalité au pays de la Révolution française et de Mai 68 quand les heures les plus excitantes des légendes militantes furent écrites dans la fièvre (pré)révolutionnaire ou perçue comme telle des mobilisations de la jeunesse ou les AG étudiantes.
Même quand la jeunesse scolarisée de gauche cessa de rêver du grand soir et s'en remis au travail syndical, militer au MJS n'était pas ce qu'il y avait de plus décoiffant.
Pourtant, le MJS a sa place dans l’histoire de la gauche. Des bataillons des « Jeunesses socialistes » qui n’hésitaient pas à faire le coup de poing contre les camelots du roi aux militants d’aujourd’hui, il y a une longue histoire qui a déjà été écrite.
En 1993, l’autonomie accordée par Michel Rocard correspond moins à la prise de conscience pour le PS d’avoir un MJS utile, que pour les rocardiens de disposer « enfin » d’une organisation qu’ils tiennent alors qu’ils ont été historiquement minoritaires dans toutes les autres organisations qu’ils ont connues depuis qu’ils ont quitté le PSU.
Des tendances de l’Unef-id aux courants du PS, les rocardiens sont classés à droite, ce qui ne les empêchent pas de s’allier aux courants comme la Gauche socialiste.
Le MJS dont la montée en puissance est due aux Trois de Tolbiac – Manuel Valls, Stéphane Fouks, Alain Bauer – peut donc avec Benoît Hamon à partir de 1993-1994 s’affirmer dans un PS en ruines.
La preuve est qu’à la rentrée 1995, la plupart des forces historiques de l’Unef-id qui était depuis le début des années 80 la principale force militante de la jeunesse de gauche non communiste, entrent dans le MJS. La GS bien sûr, mais aussi ceux qui sont proches de Jean-Christophe Cambadélis.
Lors du congrès d’Orléans en décembre 1995, une motion unique porte le nouveau président, Régis Juanico, elle est par nature, plurielle puisqu’on y retrouve – charme du MJS, des « jospino-rocardiens », des jospinistes, des poperénistes, des fabiusiens et même des… mermaziens avec en face, l’aile gauche radicale qui agite tous les fantasmes, la GS. Folklore !
Formés ou formatés par l’Unef-id puis le militantisme au Manifeste contre le Front national, ces militants voient dans le MJS une organisation qui peut faire plus. Etre une vraie école de formation, susceptible d’accompagner le travail de reconstruction que Lionel Jospin engage entre 1995 et 1997.
Mais, ce groupe n’est pas perçu comme un partenaire à part entière dans la majorité puisque celle-ci, prenant acte de la fin du rocardisme actif, se réorganise dans le courant Nouvelle gauche autour de Benoît Hamon. NG va donc « tenir » le MJS durant toute la période. Ce contraste avec l’accalmie au PS après la guerre des courants ce qui va devenir « Pluriel » conduit à proposer des réformes pour le MJS. A l’automne 1997 avec une contribution intitulée « Un MJS pluriel et intercesseur pour faire gagner la gauche », le texte prend peu de gants avec une certaine culture politique. Mais il est un acte fondateur qui portera ses fruits bien plus tard.
Désormais minorité officielle, Pluriel est un journal, un site web, une série de contributions lors de chaque conseil national, nos réunions de tendances, bref, un courant du MJS qui rassemble ceux qui sont désireux de desserrer l’étau sont intéressés par cette démarche. Du moins quand ils peuvent résister aux pressions amicales ou aux promesses alléchantes. L’aventure de Pluriel est conduite avec Mao Péninou, Pierre Kanuty, Benoît Marquaille, Samuel Cèbe et des militants nombreux à Poitiers, Clermont-Ferrand, en Haute Garonne, dans le Gers, les Alpes Maritimes ou encore la Somme. Samuel Cèbe recueille 10 % des voix pour la présidence du MJS. Certains comme Alexis Bachelay ou Julie Sommaruga sont devenus députés en 2012.
Les textes ont parfois mal vieilli, mais ils sont l'occasion de bons exercices de définition politique.
Il ne s'agit pas de se contenter de critiquer la direction du MJS, mais de lancer plusieurs chantiers. La lutte contre l’extrême droite bien sûr, mais aussi la tentative d’organiser la jeune gauche, bien qu'aucune organisation ne discute jamais avec une minorité, mais pour autant le but est simple : faire du jospinisme au gouvernement comme avec le mendésisme : organiser dans la société des relais politiques, intellectuels et organisationnels pour à la fois réussir la deuxième étape du gouvernement et préparer les esprits aux réformes à venir.
Un des marqueurs identitaires est aussi la perspective d’un « grand parti de toute la gauche », qui permet un rapprochement avec les poperénistes qui sont les rares au MJS à faire preuve d'une grande exigence intellectuelle. Leur chef de file est alors Emmanuel Maurel.
Mais militer au MJS dont l’essentiel des activités consiste à reproduire les figures imposées du PS dans une organisation qui ne pèse pas et qui confond propagande avec pastiches inspirés de la culture Canal +, génèrent chez certains frustrations et ennui.
Pour dénoncer certaines mauvaises habitudes lors de certains congrès, des dossiers « X Files » sont réalisés qui rapportent les preuves, mais cela ne fait réagir personne au PS.
C’est ainsi que dans les années qui suivent, la génération suivante, avec Maxime des Gayets et Sarah Proust, continue de se battre. Y compris à l’extérieur en organisant des mobilisations militantes sur des causes ponctuelles – La révolution orange en Ukraine ou la campagne pour le « oui » au Traité constitutionnel. Pluriel passe la main. La plupart de ses militants construisent Socialisme & démocratie au PS, le courant de DSK. Les jeunes strauss-kahniens se regroupent dans « Convergences réformistes », assumant une filiation qui remonte à l’arrivée de Cambadélis au PS puisque ce dernier y était entré avec un groupe de militants rassemblés dans « Convergence socialiste » dont la durée fut éphémère. Mais l’inconscient va plus loin. Au sein de Convergences réformistes, on retrouve une AJS qui n’a rien avoir avec l’organisation de jeunesse de l’OCI des années 70, mais qui regroupe de jeunes « rocardiens » qui se sont rapprochés de Pierre Moscovici avant de s’autonomiser.
Les fruits d’un travail mené depuis longtemps permettent à ce rassemblement de peser 15 % dans l’organisation en 2005.
C’est que la pluralité pour laquelle certains avaient combattu, se réalise par une multiplication des sensibilités qui s’affirment. La nouvelle génération ne veut pas se taire alors même que les nouveaux médias permettent une parole plus libre.
Entretemps, Nouvelle gauche a quitté le giron de la majorité du Parti pour rejoindre une minorité dont ils ne sortiront que dix ans plus tard, en 2013.
Après "Convergences réformistes", une autre génération militante prend, pour ainsi dire la Relève.
Les batailles menées par Pluriel ont toutes abouti sous les présidences de David Lebon et Razzy Hammadi entre 2003 et 2006 : un grand toilettage a lieu et l’organisation s’ouvre. Il est vrai qu’alors, la domination sans partage d’une tendance jamais menacée rend visible des tensions en son sein de plus en plus visibles.
Mais avec un MJS plus militant, les jeunes socialistes jouent un rôle déterminant dans le mouvement contre le CPE.
Notamment à Poitiers où, potaches, ils brûlent des voitures... en carton ! La fédération de la Vienne, comme avant elle, l'AGE Unef de Poitiers ont longtemps produit des cadres de qualité et d'une grande combativité. Désormais, outre les "poitevins", c'est d'une certaine manière, le temps des conquêtes avec par exemple des implantations durables dans le Limousin.
Arthur Clouzeau, Guillaume Chiche, Maxance Barré, Stéphane Séjourné, Thibault Delahaye, Simon Mandeville ou encore Julien Parelon constituent un pack d'avants qui bouge une minorité dans le MJS qu'ils arrivent à muscler. Véritables mouches du coche, ils font de la Relève, une des tendances les plus inventives chez les jeunes socialistes. Ils sont d'ailleurs la force principale de soutien à Martine Aubry durant la primaire de 2011.
Mis de côté pendant l’étrange campagne de Ségolène Royal, le MJS continue de mûrir et il se perfectionne, grâce notamment au travail de chevilles ouvrières comme Marion Pigamo et surtout Rama Sall, deux secrétaires générales de l’organisation. Car il arrive un moment où par-delà les querelles de chapelles, on finit tôt ou tard par reconnaître la valeur militante.
Thierry Marchal-Beck devenu président, orateur apprécié, confie d'ailleurs le secteur « lutte contre l’extrême droite » à la Relève et une de ses dirigeantes, Jade Dousselin avec une réelle marge de manœuvre qui permet au MJS de faire une campagne contre le FN remarquée et remarquable.
Sur le plan du travail international, ce qu’à notre époque, nous avions parfois traité de manière trop superficielle, le MJS a dû gérer ses contradictions sur l’Europe. Pour autant, plusieurs de ses dirigeants ont marqué les organisations internationales comme la IUSY ou européennes comme ECOSY, devenu YES, de leur empreinte. Avec Ana Lorenzo, Rémi Bazillier ou Claire Edey, l’organisation a su se faire entendre.
Aujourd’hui, le MJS se retrouve dans la même situation qu’en 1997 : quelle est son utilité au temps de la gauche au pouvoir ? La réponse ne va pas de soi lorsqu’à la jeunesse impatiente réponde le temps long de l’action gouvernementale. Et même si François Hollande a fait de la jeunesse sa priorité, malgré le succès des emplois d’avenir, la crise n’a pas encore reculé et les jeunes en demeurent les principales victimes. Soutenir le gouvernement tout en faisant écho aux revendications de la jeunesse, voilà un enjeu particulièrement crucial.
Assurer la relève à gauche
Le MJS a décidé de donner une place centrale à la lutte contre l’extrême droite dans un contexte où la jeunesse militante n’est plus ce qu’elle était. Elle ne s’engage plus massivement sur des causes globales dans lesquelles l’extrême gauche ou les mouvements libertaires tiennent le haut du pavé. Elle réagit positivement aux causes sectorielles, loin des possibilités de récupération politique. C’est l’altermondialisme, l’humanitaire ou encore un peu l’antiracisme. Mais sur ce dernier combat, les organisations traditionnelles ont buté sur l’émergence de nouveaux secteurs d’engagement, notamment dans les quartiers populaires. Tous ne sont pas « identitaires » ou « communautaristes »…
Le MJS doit savoir résister à la tentation d’une « radicalité sans objet » qui ne serait que posture. En d’autres termes, ne pas regretter d’être réformiste.
Assurer la relève à gauche signifie préparer la prochaine génération militante qui forcera le PS à réussir toutes ses transitions. Pas simplement parce que tel ex-président du MJS peut « naturellement » prétendre à une investiture. Mais parce que les cultures militantes qui s’acquièrent facilement dans la jeunesse peuvent parvenir à bout des vieilleries dans le parti « adulte ». Si le MJS a parfois été qualifié d’ « école du vice », le PS lui-même, dans sa faible capacité à résister parfois aux notables bedonnants, est lui-même par moment un peu vissé.
Assurer la relève veut dire faire respecter le MJS en imposant l’écoute d’une organisation mâture, qui est capable de démontrer dans les faits et en le faisant reconnaître par tous, que le PS ne peut se passer du MJS. Il ne s’agit pas de la bande de jeunes préposées aux pancartes et aux tee-shirts, assurant le casting de jeunes pour les images…
Assurer la relève signifie aussi de passer d’une culture de « démocratie négociée » à une démocratie réelle non pas dans le fonctionnement de l’organisation, mais dans le comportement même de dirigeants qui ont parfois cru à tort qu’il y avait un certain « fun » à céder aux pratiques d’un autre âge sous prétexte de « folklore ».
Comme principale organisation réformiste à gauche, le Mouvement des jeunes socialistes a, ni plus ni moins, la responsabilité historique de se hisser à la hauteur des grandes organisations de jeunesse qui ont toujours fait la vitalité des grands partis sociaux-démocrates.