C’est reparti. Comme en 1940. Ils n’auront pas l’Alsace et la Lorraine mais nous aurons pour sûr la guerre malgré nous. Pourquoi ? Mais parce que ce brouillon d’ébauche de projet de texte n’est rien d’autre qu’une déclaration de guerre pure et simple. Parce qu’à force de parler de « confrontation » on se retrouve au front. Solférino, après tout, n’est-il pas le nom d’une bataille ? Irresponsables socialistes qui en osant s’attaquer à la Vache Sacrée Merkel finiront hachés façon steaks sous le feu de la mitraille correctrice.
Fauteurs de troubles avec le gouvernement et de guerres avec notre voisin, ils forment cette mauvaise troupe qui pourrait nous mener tout droit à une catastrophe militaire d’ampleur continentale. Heureusement qu’ils ont été arrêtés à temps par des esprits vigilants!
Mais, sérieusement, que nous dit cet emballement des derniers jours ? Qu’une idée fausse est un fait vrai et peut structurer la réalité du débat politique de manière absurde. En faisant semblant d’empêcher une guerre fantasmée on interdit en fait un débat essentiel pour l’avenir de la gauche et de notre continent.
L’ébauche de texte ne mérite pas cette débauche de rappels à l’ordre et de remises en place infantilisantes qui ont accompagné sa publication - faut-il le rappeler - non autorisée. Les ministres correcteurs en font sans doute un petit peu trop dans le registre réaliste du rappel à la raison d’État. Le couple franco-allemand est beaucoup plus solide qu’ils feignent de le croire. Il est en béton armé, lui. Il a connu de nombreux désaccords et de fructueux débats. Il vit d’ailleurs des choses dites et des discussions menées.
Des discussions qui se doivent pourtant de rester sereines et constructives. La surenchère verbale n’ajoute en effet jamais rien. C’est d’ailleurs pourquoi Jean-Christophe Cambadélis a purgé le projet de texte des attaques trop gratuites envers la Chancelière allemande. Mais, arrêtons de nous payer de mots ! Les enjeux sont trop importants. Derrière cette fausse polémique il y a la véritable question de la réussite du changement en France mais également en dehors de nos terres, chez nous, en Europe.
A commencer par l’Allemagne où nos frères d’armes du SPD affrontent sans relâche la politique d’austérité de la droite emmenée par Angela Merkel. Ils sont eux en campagne. Ils sont eux en première ligne avec leurs amis Verts. Et ils ne mâchent pas leurs mots. Merkel y est ainsi dépeinte par exemple comme une « pseudo-chancelière », qui regarderait faire et « conduirait l’Europe à l’anorexie » pour reprendre les mots de Sigmar Gabriel. Le candidat Peer Steinbrück, dont la réputation et le sérieux économiques ne sont plus à faire, l’accuse tout bonnement de mener une politique qui « pousse les États européens encore un peu plus dans la dépression et la paupérisation ».
Les socialistes français n’ont donc pas le monopole de la parole critique à l’égard de la droite allemande. Il ne s’agit pas ici pour nous de faire de l’ingérence électorale mais de participer à un débat sur la politique économique de notre continent et la possibilité du changement. Les élections allemandes du 22 septembre prochain seront suivies des européennes l’an prochain. La séquence actuelle est donc vitale pour les forces progressistes. De pas le voir et ne pas se mettre en ordre de bataille serait une faute politique grave.
La campagne des européennes commence en fait par l’Allemagne. Parce que notre avenir économique se joue avant tout en Europe et se joue souvent à Berlin. Il nous faut donc en tant que socialistes français européaniser nos débats politiques et de politiser le débat européen. Grâce à ce double mouvement nous pourrons redonner confiance en la politique et crédibilité au changement.
Non ! donc aux arguments ad hominem qui brouillent les débats. Non ! également aux arguments ad absurdum qui les interdisent. Cette surdramatisation fait le jeu de la droite européenne et donc française qui veut éviter à tout prix de rendre des comptes et qui veut que face à la politique austère il ne reste plus aux peuples qu’à se taire.
Comme dit Laurent Fabius : « on a jamais vu une idée traverser une pièce toute seule ». Angela Merkel incarne la politique d’austérité en Europe parce qu’elle dirige la première puissance européenne, boostée aux exportations et à la modération salariale. Il est donc normal qu’elle soit l’objet de critiques. Qui s’impose s’expose. Il faut combattre la politique de Merkel, mais pas la (femme) politique Merkel. La nuance est de taille. Le sens des nuances et de la retenue est, on le sait, essentiel à la bonne menée des débats démocratiques. En France comme en Europe.
Voilà ce que l’emballement de ces derniers jours nous a également rappelé : que le véritable ennemi héréditaire est bel et bien l’approximation. C’est elle qui alimente cette fausse polémique sur l’anti-germanisme prétendu de certains camarades socialistes. Cette polémique absurde ne sera malheureusement pas la Der des Ders.
M. Ullmann (Hambourg)