Derrière les scènes de liesse à Bamako et les éloges de la presse à l’égard de l’opération Serval au Mali, qualifiée de « réussie » par beaucoup, sourd une critique que d’aucuns tentent de camoufler : l’intervention française dans ce pays d’Afrique de l’Ouest rappellerait des « temps anciens » que l’on ose à peine dénommer.
Encore le fait de « rabat-joie » trop occupés à se saisir de n’importe quelle occasion pour critiquer ne serait-ce qu’un pan de la politique menée par François Hollande et son gouvernement ? En effet, pourquoi ne pas profiter de la vue de drapeaux français flottant dans les rues de Bamako et de Ségou ? De ces images de haies d’honneur faites au président de la République à Tombouctou et de visages souriants lors de la venue de Valérie Trierweiler à Gao ? Après tout, l’occasion est trop belle pour ne pas souffler un peu dans cette période où l’adjectif de « morose » ressemble surtout à un euphémisme.
Mais voilà, pour une frange non négligeable de l’opinion publique (africaine comme française) l’intervention au Mali pour repousser l’avancée djihadiste est comparable aux campagnes coloniales et « va-t-en-guerre » de la France qui, qu’on le veuille ou non, ont persisté après les indépendances des années 50 et 60. En bref, la « Françafrique » serait de retour !
Alors, « françafricaine » l’opération Serval ? Oui, si l’on consent que seule la France a pris la décision d’intervenir pour empêcher de faire s’étendre le problème islamiste au sud du pays voire dans toute la sous-région. Oui, car Paris n’a pas manqué de souligner que le Mali était un pays « frère » qu’il fallait soutenir du fait des relations historiques entre les deux nations. Mais non lorsque le constat suivant nous saute aux yeux : la France n’avait aucun intérêt immédiat à intervenir dans ce pays qui, généralement, se dispute les dernières places dans la litanie de ces tristes concours que sont les classements PIB et IDH.
S’il existe un intérêt pour la France de déployer ses troupes dans ces contrées, il s’agit bien entendu de s’appliquer à ce que l’islamisme ne développe en aucun cas un terreau favorable dans des régions où la misère et l’absence de perspectives sont généralement les meilleurs recruteurs pour le djihad. Mais en l’occurrence aucun pré-carré économique à défendre. Nul gisement de pétrole ou de mines d’or à sécuriser. Là où la « Françafrique » aurait servi de prétexte pour assurer à l’Hexagone sa prospérité économique et la survie politique de ses dirigeants, la relation franco-africaine dans sa lutte contre tout extrémisme ressemble davantage à une solution dont la communauté internationale tout entière pourra bénéficier.
D’aucuns pourraient objecter que la France fait aujourd’hui figure de donneuse de leçons lorsqu’elle semble imposer aux Maliens la tenue d’une élection présidentielle en juillet prochain. Ce serait vite oublier que le Mali sait ce que le terme de « démocratie » signifie et qu’il a longtemps fait figure de vitrine en la matière en Afrique de l’Ouest depuis le renversement du dictateur Moussa Traoré en 1991. Son « tombeur », le général Amadou Toumani Touré (« ATT » pour ses compatriotes), avait alors rendu le pouvoir aux civils en contribuant à l’installation d’un ancien instituteur de la région de Kayes, Alpha Oumar Konaré, au palais de Koulouba. Nul doute donc que le Mali réussira par elle-même son « retour démocratique » après les peu glorieux épisodes du putsch de mars 2012 et le retour des militaires au pouvoir et la poussée djihadiste et sécessionniste au nord du pays.
Accuser François Hollande de vouloir faire revivre les réseaux occultes de l’époque des Jacques Foccart et autres Guy Penne, quand la France faisait la « pluie et le beau temps » sur le continent africain, trahit en outre un raisonnement aujourd’hui fallacieux : celui que l’Afrique francophone reste dépendante de son ancien colonisateur. Or, il est aujourd’hui difficile d’affirmer un tel constat quand les pays du défunt « pré-carré » se tournent de plus en plus vers d’autres partenaires au premier rang duquel se trouvent principalement la Chine et l’Inde.
Il est donc loin le temps ou Papa Bongo et le Vieux Houphouët recevaient en grandes pompes les dirigeants de la Vème République. Quand des chefs d’Etat africains disparaissaient mystérieusement et dont le sort dépendait généralement de la survie d’intérêts bilatéraux peu avouables. Rappelons-nous qu’il y a peu un président français faisait encore preuve de paternalisme lorsqu’il affirmait que « l’Homme africain [n’était] pas assez entré dans l’Histoire » et que des dictateurs pouvaient allègrement s’essuyer les pieds sur le « paillasson » que devenait alors la France quand ils étaient reçus avec les honneurs au palais de l’Elysée.
Depuis l’alternance, et par la voix de François Hollande et de son gouvernement, la France a dénoncé les atteintes aux droits de l’Homme en marge du Sommet de la Francophonie organisée à Kinshasa (République démocratique du Congo) en octobre dernier. Elle a redonné sa place dans l’Histoire à l’ « Homme africain » par un discours de Dakar « rectificatif ». En accord avec les membres de l’Union africaine, elle n’est pas intervenue lors des évènements qui ont amené à la destitution de François Bozizé, président de la République centrafricaine, début 2013. Enfin, elle a fait preuve de bon sens en empêchant la montée djihadiste dans un pays où ses intérêts restent réduits.
Au lieu, donc, de nous appesantir sur des polémiques néanmoins légitimes au vu du passé trouble de la France dans ses relations avec la sous-région, posons-nous d’abord la question suivante : comment réinstaurer le lien de confiance entre la France et l’Afrique à l’heure où cette dernière se détourne de l’Union européenne tout entière pour la conduite de ses intérêts notamment économiques et politiques ? Là réside toute la question de la survivance de nos liens privilégiés avec un continent qui, quoi que l’on dise, fait partie intégrante de notre Histoire.
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