Cet été, la stimulante revue Regards, jette un œil acéré, celui de Jean-Luc Mélenchon sur ce qu’il appelle « la fin de l’Internationale socialiste » et sur « l’union de la gauche ». L’occasion pour le leader du Parti de gauche de décréter sans surprise la faillite de la social-démocratie, de dénoncer les renégats, mais au bout de l’estocade, en réalité, celle qu’il croit porter, le toro bouge encore… Il n’est pas encore devenu un cadavre à la renverse.
Jean-Luc Mélenchon a été un socialiste fidèle à tant de leaders PS au cours de ses 35 ans de militantisme social-démocrate, qu’il fallait bien que sa rupture se fasse dans le bruit et la fureur, proportionnellement à l’amour qu’il avait porté à son parti. On pourrait même dire qu’avec Mélenchon, c’est « la séparation permanente ». Il est vrai que l’évolution du socialisme démocratique des années 90 n’était pas pour lui plaire. Le blairisme et la crise grecque ont probablement ébranlé profondément le socialisme européen de diverses manières car pour la première fois depuis les années 20, l’hégémonie de la gauche démocratique, assurée par de grands partis travaillistes, socialistes ou sociaux-démocrates était contestée des mouvements populistes ou des scissions de gauche. Il s’agissait pour la gauche démocratique de constater qu’elle avait triomphé du communisme et des totalitarismes qui s’étaient effondrés en Europe centrale et orientale. Ces régimes dont Mélenchon parle assez peu étaient eux-mêmes issus de ces scissions de la social-démocratie. On se souvient qu’à l’origine, il s’agissait de dénoncer la marche à la guerre en 1914, puis de lancer une vaste offensive en faisant en sorte que l’étincelle russe embrase la plaine avec l’espoir que le baril de poudre allemand se trouverait à bonne distance. On connaît la suite : le mouvement bolchevique ne se contenta pas de rompre avec la social-démocratie. Pendant presque dix ans, il en combattit les militants, y compris physiquement. Pour ta tragique erreur que fut l’écrasement dans le sang de la révolution spartakiste, combien de militants socialistes anonymes perdirent la vie durant les années suivantes aussi bien durant la guerre civile espagnole ou en Europe centrale et orientale après 1945 parce que les staliniens les traquaient ?
Le mur de Berlin n’a fait que matérialiser cette profonde division entre deux gauches qui a existé avant la guerre froide et qui lui survit, même si l’autre gauche n’est pas stalinienne, elle reste anti socialiste jusqu’à lui contester l’épithète.
Mélenchon s’en prend donc à l’Alliance progressiste et se révèle du coup défenseur de l’Internationale socialiste. Mais s’il dénonce la « scission allemande », il ne prononce par un mot sur les raisons de cette séparation qui n’est nullement réductible au sabordage de l’outil qui avait construit l’Etat social comme il dit. Il passe sous silence ce qui dans l’évolution de l’IS a conduit à une crise dont l’Alliance progressiste est issue pour ne constater que la trahison de soixante dix partis.
Jean-Luc croit donc qu’il est possible de lutter contre un ennemi qui a changé de nature avec des outils dépassés. Mais si le socialisme, idéologie centenaire, est encore l’objet de controverse, c’est précisément parce qu’il se pose la question des moyens les plus efficaces contre le capitalisme financier. On ne combat pas le conservatisme avec d’autres conservatismes.
En s’arrimant au Parti communiste, les militants du Parti de gauche auraient du comprendre la difficulté qu’il y a à faire du passé table rase. On peut critiquer l’audace des socialistes à aller loin dans la réforme, mais lorsqu’on est un militant communiste sincère, on doit vivre avec un héritage beaucoup plus lourd. Si aujourd’hui les communistes ne sont plus des staliniens, ils doivent, chaque fois qu’ils évoquent l’histoire de leur parti, faire un tri, souvent douloureux. A gauche aussi, il y a des idoles et il faut savoir s’en défaire et c’est là une faiblesse chez les pégistes. Mélenchon idolâtre un mouvement ouvrier dont il oublie les débats internes et comme il ne trouve plus en Europe de source d’inspiration aussi forte que les grands fondateurs et que ni Lafontaine ni Tsipras ne sont de nouveaux prophètes, il se tourne résolument vers le cône sud, tournant du même coup le dos à l’Europe. Cette rupture s’accompagne d’une rupture assumée du front de la gauche : « Il est aussi vain de vouloir « aiguillonner » de tels partis que d’espérer les voir revenir à leur raison d’être. Toute stratégie de conquête du pouvoir pour renouer le fil de la lutte pour l’émancipation passe donc par une compétition sans ambiguïté avec ce mutant « progressiste » dont le centre de gravité est ancré dans la perpétuation de la société et l’économie de marché financiarisée actuelle ». La messe est dite.
Afin de limiter le plus possible les moyens d’un « frente amplio », un front large, les pégistes minimisent les convergences et accroissent les divergences. Mais cette politique sectaire qui peut faire perdre toute la gauche, ne fait triompher personne chez les progressistes.
Dans son texte, Mélenchon revisite l’Histoire du mouvement ouvrier en reprochant à la social-démocratie son refus de la rupture totale avec le capitalisme et il présente le « soviétisme » de manière si anodine que les jeunes générations pourraient le voir comme un simplement moment de barbarie alors que ce fut précisément la volonté de rupture avec le capitalisme qui fut aussi une rupture avec la démocratie qui conduisit à la catastrophe. Voilà pourquoi nous sommes des sociaux-démocrates et que nous revendiquons ce nom, nous ne tournons pas le dos à la démocratie.
Dans son réquisitoire, Mélenchon accuse les partis de l’IS de n’avoir jamais « pris la mesure du changement de nature du capitalisme du fait de la financiarisation de l’ensemble de l’économie, et de son changement d’échelle avec la transnationalisation du capital. Dans le cadre national, le capitaliste industriel pouvait trouver intérêt à discuter avec les syndicats et à peser dans la définition des normes. Dans la mondialisation libérale, le capitalisme financier n’a plus besoin d’aucun compromis politique ou social en contrepartie de ses prélèvements sur le travail. Le rapport de force que lui donne sa transnationalisation est d’autant plus écrasant qu’il est mal compris ou qu’il passe pour une loi de la nature. »
Si le leader pégiste a raison de dénoncer l’imposture qui consiste à croire que les dogmes de l’économie libérale passent pour des lois de la nature, il se trompe sur l’aveuglement des socialistes du monde entier par rapport à cette mutation. La prise de conscience à l’égard de la nature du capitalisme financier s’est révélée dans la fameuse formule de Lionel Jospin « oui à l’économie de marché, non à la société de marché », une manière d’assumer cette tension dont personne n’a jamais cru qu’elle était facile à résoudre : le socialisme démocratique considère le marché comme un « bon serviteur, mais un mauvais maître », pour reprendre l’expression d’Henri Weber, capable de produire des richesses et de stimuler l’innovation technologique, mais inapte à produire de la justice. Dans l’Histoire, aucun régime n’a réussi à administrer l’économie sans l’affaiblir ou sans porter atteintes aux libertés. Ni en URSS, ni en Chine, ni en Corée du Nord, ni au Vietnam, ni au Cambodge, ni à Cuba… Quand au modèle vénézuélien qu’on nous présente comme la panacée, ce n’est jamais qu’un capitalisme où l’Etat intervient beaucoup, mais dans lequel l’eau coûte plus cher que le pétrole. D’ailleurs, les maduro-chavistes ont échappé de très peu à la défaite lors de l’élection présidentielle qui a suivi la mort d’Hugo Chavez. C’est donc une forme de régulation forcée que Chavez a mis en place dans son pays, alors que Mélenchon prétend ne pas croire en la régulation, considérant que « ça sonne dans le vide ». Peut-être autant que les appels à la révolution citoyenne, une formule qui permet en fait à la fois de rassurer le bourgeois un peu trop pressé de voir dans le député européen, « un populiste » et le militant de gauche romantique qui rêve encore de révolution.
Mélenchon a raison de dire que le capitalisme financier transnational a la force d’échapper à toute forme de souveraineté populaire, mais son pessimisme le pousse dans une impasse. Puisque la réforme est impuissante et la révolution impossible, que reste-t-il aux peuples sinon le désespoir ?
Là encore, quelle est l’issue ? L’exacerbation des crises et des tensions pour déboucher sur une confrontation nécessairement violente ou la toute puissance de l’action politique pour tordre le bras aux puissances de l’argent ?
Une « internationale des progressistes » est-elle possible ?
Dans le mouvement socialiste, la dimension « internationale » se vérifiait dès que plusieurs pays étaient représentés, quelque soit la représentativité réelle des personnes ou partis venus de loin. A l’époque où les réunions se faisaient dans la clandestinité ou bien avec des camarades qui se déplaçaient à leurs risques et péril, déjouant la vigilance de la police politique de leur pays ou des agents de telle ou telle puissance, se rassembler à quelques dizaines relevait de l’exploit. Depuis, la démocratisation des pays occidentaux, la mutation de dizaines de partis en partis de gouvernement a profondément changé la nature des réunions de socialistes du monde entier.
En devenant des partis capables de faire bouger le système, les partis de gauche ont tenté de converger par delà des cadres traditionnels issus des Internationales. Pouvait-on construire quelque chose avec les Démocrates américains par exemple ?
Le mouvement socialiste international s’est longtemps organisé sans les partis américains. Le parti des démocrates socialistes américains, un petit groupe d’intellectuels au sein desquels on retrouve Noam Chomsky ou Ed Asner ne représente rien de conséquent dans la vie politique américaine, mais il est à l’image d’un pays, les Etats-Unis, où l’idéologie au sens européen du terme n’est pas elle-même l’élément le plus structurant au sein des partis. Discuter avec les amis de Clinton n’est pas interdit du moment que chacun connaît les limites de l’autre. De toutes façons, il faut être ignorant ou de mauvaise foi pour croire que socialistes français et démocrates peuvent à ce point se rapprocher. Le terme de « socialiste » est connoté outre atlantique, de même que « démocrate » en Europe est vague. Les Démocrates sont multiformes. Entre les « liberals » de la côte ouest ou ceux de New York et ceux du Sud, il y a un monde.
Américains avant tous, les démocrates américains se soucient peu du reste du monde et si on est très fier d’accueillir Howard Dean, il n’est en rien l’incarnation de ce puissant parti de la gauche américaine qu’on aimerait avoir comme allié. Bref, les démocrates ne sont pas des socialistes et n’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon, les sociaux-démocrates européens ne sont pas des démocrates américains. La « vieille social-démocratie européenne » n’a fait que cesser d’ignorer les progressistes nord-américains alors que toute la gauche européenne avait noué depuis longtemps des liens avec les progressistes du reste du continent américain.
Mélenchon oublie d’expliquer que travaillistes britanniques et démocrates américains eurent à trouver les moyens de la reconquête des cœurs et des urnes après dix ans de contre révolution conservatrice sur les deux rives de l’Atlantique… la voie ouverte par les New democrats a ouvert le cours le plus à gauche de l’Histoire des Etats-Unis depuis Roosevelt et quand à Blair, s’il ne s’était pas fourvoyé, dans la guerre folle en Irak, on lui aurait fait crédit de l’adoption – enfin – du salaire minimum notamment. Mais la vraie faute du blairisme en effet, en écho à la mutation des anciens communistes italiens – ce que Mélenchon ignore aussi superbement dans son article, est d’avoir subordonné beaucoup de ses idées à l’impératif de l’efficacité de la méthode pour accéder et rester au pouvoir. On pourrait dire que c’est ce qui compte, à condition d’en faire quelque chose, or il est vrai que la période durant laquelle Blair, d’Alema, Jospin ou Schröder furent au pouvoir avec une majorité de dirigeants européens, ne fut pas celle d’un grand changement en Europe.
Durant cette période qu’il dénonce aujourd’hui, Mélenchon était lui-même membre du gouvernement « le plus à gauche du monde.
Sans surprise, le fait que François Hollande a mentionné Gerhard Schröder dans son discours du 150e anniversaire du parti social-démocrate allemande à Leipzig en mai dernier passe pour un soutien aux réformes controversées de l’Agenda 2010. Dans un discours de salut à un siècle et demi de la social-démocratie allemande, était-ce le lieu d’un inventaire critique du SPD, venant du président français, seule figure étrangère invitée à s’exprimer devant le peuple allemand ? C’est ridicule ! Et si Jean-Luc Mélenchon suivait de si près l’actualité du SPD, il aurait du savoir que dans son programme fondamental adopté au congrès d’Hambourg, le premier programme fondamental depuis la chute du Mur de Berlin et la réunification allemande, le SPD a rompu avec l’héritage Schröder. Ce n’est pas faire preuve d’irrévérence que de dire que François Hollande n’a jamais été un idéologue et que le delorisme ne fut pas une doctrine aussi rigide que d’autres. Quant au Parti Socialiste, c’est insulter ses militants et ignorer le travail politique de ses dirigeants que de penser qu’il ne s’agisse plus que d’un ramassis de traîtres qui tournent le dos à leur propre histoire et ce faisant au mouvement ouvrier. Du reste, on voit parfaitement la manœuvre, Mélenchon a besoin de décréter cette trahison quitte a forcer le trait, ce qui chez lui est une manie pour se retrouver en situation de ramasser le drapeau souillé.
Quant à cette obsession à vouloir nous nommer « solférinien » comme pour nous dénier tout revendication du beau nom de « socialiste », tordons lui le coup une bonne fois pour tout. Qui sont-ils pour s’arroger un tel droit ? Ces gens ont quitté le Parti Socialiste pour s’allier au Parti communiste soit. Ce faisant, même si le PCF d’aujourd’hui n’est plus le parti stalinien de Thorez, Duclos et Marchais, fidèle à Moscou, au point de jamais rompre, ni en 1956 au moment de l’insurrection de Budapest, ni en 1961 lors de l’érection du Mur de Berlin, ni en 1968 après la répression du Printemps de Prague, approuvant l’intervention de l’URSS en Afghanistan et jugeant le bilan de l’Union soviétique « globalement positif » il reste marqué par un poids de l’Histoire qu’il traîne tel un boulot. Cela conduit les pégistes à troquer un héritage contre un autre au point, si le fait, d’endosser une histoire dont ils se passeraient bien ou de réécrire l’Histoire. C’est ainsi par exemple que lors de la querelle, via blogs interposés entre Julien Dray et Alexis Corbière au sujet de l’attitude du SPD et du KPD dans les années 20-30, le second considérant que le péché originel avait été l’assassinat des spartakistes, le KPD avait globalement eu la bonne attitude alors que l’on sait que les ordres de Staline avaient conduit les communistes allemands à rompre l’unité face au nazisme… Par ailleurs, Solférino n’est pas un nom si ignoble. C’est d’abord une victoire militaire de la France venu aider les patriotes italiens à libérer leur pays du joug autrichien. C’est ensuite un bâtiment que les milices syndicales ont libéré lors des combats de l’été 44 et le lieu des grandes victoires du socialisme des années 80 à nos jours, l’endroit où il s’est toujours trouvé des gens pour relever quand il le fallait le drapeau.
Nous parlions de l’Italie et dans son texte, Mélenchon évoque les évolutions de la gauche italienne qui passa du communisme à ce qu’on appelle chez nos voisins transalpins, « le centre gauche ». Là encore, il prend ce qui l’arrange car si les anciens leaders du PCI ont recherché le centre plus que la gauche, ils n’en ont pas moins toujours réussi à rassemble l’ensemble de la gauche italienne, des ex communistes de Rifondazione aux socialistes en passant par la gauche écologique de Vendola. Tout ce monde participe aux primaires du Parti démocrate. Par ailleurs, depuis Bersani, les démocrates italiens ont tiré les leçons de l’aventurisme qui consistait à « draguer » l’aile gauche de la Démocratie chrétienne. On verra comment la gauche italienne se recomposera cet automne avec les congrès du PD et du PSI.
Une Internationale des progressistes n’est pas réalisable si on accorde du sens aux mots. Du point de vue organisationnel, cela se heurte à la volonté d’autonomie de grands partis comme le PT du Brésil ou le Parti du Congrès. Mais une logique d’alliance permet des convergences sur des points précis. Voilà ce que le PS a proposé à l’IS et à quoi il travaille dans l’Alliance progressiste en veillant à la prise en compte de la réalité d’un monde multipolaire qui colle mal avec un internationalisme organisé à l’ancienne.
L’internationalisme a changé de nature
Nous ne sommes plus aux temps de la Deuxième Internationale, dominée par la social-démocratie allemande. Nous ne sommes plus à l’époque de la Troisième Internationale, ce Komintern où Kamenev et Radek, pour le compte du PCUS dictaient la ligne quitte à liquider les directions réfractaires. Nous ne sommes pas non plus dans une Quatrième Internationale groupusculaire n’en a pas moins réussi à se diviser. Le nouvel internationalisme ne se rêve ni ne se décrète, il se construit avec des partis et des peuples qui ont changé et qui refusent l’ingérence et le dogmatisme. Les Forums sociaux mondiaux ont démontré cette nouvelle aspiration. Le monde change plus avec les ONG et les gouvernements qu’avec les partis protestataires. Le nouvel internationalisme n’exclut personne dès lors qu’il s’agit de rassembler ceux qui veulent le progrès durable et la démocratie. On ne peut pas dénoncer la trahison ou la faillite de la social-démocratie européenne, couvrir la fraude électorale au Venezuela et défendre la Chine contre le Tibet sans nuance. Voilà des « encombrements hostiles » bien plus gênants pour la démocratie que l’adaptation de la social-démocratie à un monde qui change et au sein duquel, face à la convergence d’une certaine gauche radicale avec la droite la plus libérale, elle continue à croire qu’elle a encore quelque chose à dire au monde.
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