Le
feuilleton de l’été a visiblement eu pour acteur principal le ministre de
l’Intérieur dont la surexposition a conduit mécaniquement à des couacs et des
phrases qu’on n’a pas fini de commenter et qui fixeront pour longtemps le
« vallsisme » alors que c’est sur sa politique qu’il doit être jugé.
On peut être moderne et de gauche
Tout
aussi mécaniquement, de manière un peu « masochiste », certains militants
poussent des cris d’orfraie, ceux-là même qui ont toujours voulu voir en Valls
un « droitier ». D’autres sont surpris par une telle agitation alors
qu’on en est quand même pas à préparer l’après Ayrault ou l’après Hollande.
Enfin, les troisièmes, s’organisent. On ne sait jamais. Il faut toujours être
dans le camp du mec en vogue, veut miser sur lui, car le pouvoir compte plus
que les convictions et tout cela vaut bien quelques arrangements en termes
idées. Déjà se montent ici et là des regroupements de personnes qui sont en
quête d’un leadership d’avenir, au passage François Hollande et Harlem Désir
apprécieront – et, confondant modernisation et droitisation, libèrent ce qu’ils
avaient en eux pour certains. Une gauche sans mémoire et sans histoire qui
n’est que l’habillage de la pensée dominante : celle d’un conservatisme qui
ne dit pas son nom, fait. Un suivisme fait aussi de scepticisme sur le vivre
ensemble, considérant que l’Afrique ou le monde arabe c’est loin, qui ne croit
pas au fond de lui-même que « au bout du bout » l’islam soit si
compatible que cela avec la République, qui est contre le droit de vote des
étrangers et qui trouve que le social, l’action syndicale ou l’écologie,
« ça commence à bien faire ». Avec eux, des militants qui se bouchent les oreilles en se persuadant que ce n'est pas ce qui a été dit.
Il
se trouve des gens qui ne sont pas des « whites » qui s’y retrouvent,
dans ce style énergique qui fait « banlieue » et qui comporte aussi
sa part de violence dans les rapports humains. On n’est pas à une contradiction
près. Ces personnes-là qui sont pourtant les preuves que l’intégration
fonctionne, ne se reconnaissent pas dans celles qui ne se sentent pas
intégrées.
Pressés
de défendre Valls, certains ont donc pris la plume, écrivant du coup, un peu
vite, un manifeste du moment qui fixe une position politique qu’on ne peut
partager. Leurs mots dépassent sa pensée, mais pour eux, désormais, comme le dit le proverbe latin
bien connu : « verba volant
scripta manent. »
Le
récit du changement
C’était
le programme de l’élection présidentielle. Il a suffisamment convaincu pour que
les gesticulations de Sarkozy ne l’emportent pas, lestées qu’elles étaient par
le délire sécurité et l’obsession identitaire qui avaient été de véritables
ruptures avec la République.
L’exemple
pris sur les Nordiques – vieille ficelle pour ringarder la gauche est bancal.
La réforme du modèle nordique – d’inspiration social-démocrate, a justement
échoué suffisamment pour que la droite ait triomphé dans ces pays, infligeant
les pires défaites de leur histoire aux sociaux-démocrates. Ajoutons à cela,
une montée inédite des nationaux-populistes dans ces pays. Le résultat est par
contre, une certaine droitisation de la social-démocratie scandinave qui ne lui
sourit pas tant que cela sur le plan électoral. On verra ce que donneront les
élections en Norvège dans quelques semaines ou en Suède dans un an pour en
tirer un bilan plus net. C’est bien le problème de la gauche européenne :
il n’y a plus de modèle de référence car tous sont à reconstruire et,
paradoxalement, celui qui est regardé par la gauche européenne, c’est… le
nôtre.
La
faiblesse du récit de la gauche vient du fait que ceux qui le portent n’y
croient pas par excès de scepticisme et aussi parce que nous avons affaire avec
des dirigeants blasés. L’hégémonie culturelle du conservatisme néo-libérale
contamine tout. Les critères de validité de notre pensée politique sont confiés
à un jury « les observateurs » dépolitisé ou lui-même marqué par
cette domination intellectuelle du néo-libéralisme, qui a cessé de voir le
monde comme le théâtre de conflits entre deux visions.
L’idée
de restauration a son sens après dix ans de ravage de la droite, mais la
question n’a jamais été d’être des restaurateurs, mais des reconstructeurs, y
compris en renouvelant des alliances politiques à gauche sur la base d’une
vision commune.
Quand
on lit que « le récit de la gauche a été inadapté parce qu'il a longtemps
fait l'impasse sur les questions identitaires qu'elle a voulu réduire trop souvent
à leur dimension sociale », c’est assez choquant d’ignorance ou de
provocation.
L’identité
de la gauche c’est le social. Là où la droite oppose l’identité au social. Il
est impossible de se sentir bien dans son identité quand on n’a ni formation,
ni emploi, ni toit, ni retraite. Quant à l’identité, c’est la République, celle
qui émancipe.
Si
la « République en 2013 » se réduit au policier, au magistrat, au
fonctionnaire, à l'agent de service ou au pompier sans que jamais ne soit
nommément mentionné l’instituteur, nous n’avons pas la même conception de cette
république dont, par ailleurs sont absents tous les corps intermédiaires. Pour
la gauche le mouvement social est une institution.
Si
la Constitution de la Cinquième république a permis des politiques de gauche,
on sait qu’elle n’est pas à la base l’exemple le plus avancé de la démocratie,
or le rôle des partenaires sociaux pour ne citer que lui, est crucial pour
garantir une République réellement inclusive.
Dire
que la laïcité n’est pas menacée n’a de sens que si on cesse la petite musique
sur l’islam. François Hollande a été élu contre un Sarkozy qui n’avait ne cesse
de nourrir le doute sur la « compatibilité » de l’Islam avec la
République. Si une minorité agissante est nuisible, c’est la majorité qu’il
faut aider, car ne nous y trompons pas : aujourd’hui, cette obsession a
accru la confusion entre islam et islamisme chez nom de nos concitoyens avec
tous les préjugés que cela peut entraîner. Et on ne peut même pas parler
« d’islamophobie »…
La
fraternité laïque ce n’est pas cela.
Il y a eu une petite rupture intéressante ces derniers temps que peu de personnes ont vu. Manuel Valls était le ministre ciblé par la droite au moment des manifestations contre la future loi Taubira. Dans ses réponses à la droite qui l'accusait de violence, le Ministre de l'Intérieur répondit que le gouvernement de gauche représentait "l'ordre". L'ordre républicain s'entend. Mais cette inversion de la gauche en "parti de l'ordre" fût-il "juste" n'a de sens que s'il s'agit de faire respecter les lois de la République, y compris contre les factieux. C'est que Manuel Valls a très bien fait.
Ce débat n'est pas nouveau chez les Républicains.
A ses admirateurs qui veulent en finir avec une certaine idée de la gauche, rappelons ces quelques réponses de Jaurès à Clemenceau, ce grand homme d'Etat, visionnaire sur le colonialisme, mais qui finit à droite une carrière politique commencée à gauche : " Ce qu'il y a de plus puissant dans le socialisme, c'est la vertu du mot
qui fait luire aux yeux des déshérités l'espérance de la réparation
justement attendue. Cela permet de les grouper, de les émouvoir en
masse..." Et dans une passe d'armes restée célèbre entre les deux hommes, le "Tigre" lança à Jaurès qui l'accusait d'avoir " pris à parte le socialisme ", " vous n’êtes pas le socialisme à vous tout seul, vous n’êtes pas le bon
Dieu ! " Ce à quoi Jaurès répondit : "Et vous, vous n’êtes même pas le diable ! ". Réponse de celui qui s'était lui-même surnommé le " premier flic de France ", "Qu’en savez-vous ?..."
« Réforme
ou révolution » c’est terminé au PS !
Il
fut un temps où le PS écrivait dans sa déclaration de principes qu’il se fixait
pour tâche de « mettre le réformisme au service des espérances
révolutionnaires ». Plus qu’une formule habile pour contenter tout le
monde, il s’agissait aussi d’expliquer que le socialisme démocratique ne
croyait pas à la révolution comme méthode de gouvernement, même si, le simple
fait de réaliser ses propres buts seraient en soi une révolution.
Affirmer
« notre » réformisme est un moyen de se démarquer non pas d’un
hypothétique courant révolutionnaire au PS, il n’y en a plus depuis Marceau
Pivert, mais des « gauchistes », ces éternels insatisfaits. Le
réformisme n’est pas un socialisme modéré ou une social-démocratie raisonnable.
C’est une action politique résolument qui s’oppose aux influences des puissants
en s’appuyant sur les productifs contre les oisifs et qui soigne au mieux ses
relations avec les syndicats tout en s’attachant à convaincre le patronat. Rien
d’autre.
Les
« affranchis » parlent de charges sociales, nous parlons de
cotisations sociales. Ces « charges » financent les arrêts maladies,
la formation tout au long de la vie et les retraites.
«
Il n'y a aucune contradiction entre la
nécessité de conquérir les marchés et le besoin de préserver des emplois chez
nous. Ce sont deux facettes d'une même politique » concluent ceux
qu’on devrait désormais appeler « les Affranchis » sans savoir lequel
de la bande est Robert de Niro, Joe Pesci ou Ray Liotta. La conquête des
marchés mondiaux s’est toujours fait sur le dos des emplois puisque les
salaires et les droits sociaux ne sont pas les même – c’est peu de le dire –
entre l’Europe et l’Asie par exemple et les drames récents an Bangladesh
l’illustrent de manière tragique. Précisément, le PS a théorisé le concept de
juste échange pour établir cette égalité et la méfiance à l’égard de l’accord
de libre échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis relève aussi de
cela.
La
norme des marchés mondiaux n’est certainement pas la protection de l’emploi en
France sinon Mittal n’aurait pas injurié notre pays comme il l’a fait.
En
conclusion, on ne voit pas très bien de quoi la gauche devrait s’affranchir
sauf si c’est de ce qui fait la gauche. De quoi était-elle esclave, elle qui
veut émanciper ? En revanche, nous ne sommes pas prêts à franchir ce cap
qui consisterait à s’affranchir de la gauche.
Valls est au gouvernement, il faut donc le juger sur son action. Ceux qui sont tentés par l'aventure se trompent, mais l'honneur du PS est d'être un lieu où il est possible de débattre avec eux.