La colère et l'agacement monte dans les rangs socialistes, de gens qui jusque à maintenant pensaient que c'était juste une question de calage, de maturation de ministres peut-être immatures malgré les apparences, mais au bout d'un an, de mille séminaires, d'une Affaire Cahuzac et du limogeage de Delphine Batho, on aurait pu penser que la leçon était apprise en cette rentrée.
Et puis non. L'été a été une belle démonstration de ce sentiment de bordel qui fait qu'en d'autres temps, quelqu'un aurait pris la parole à La Rochelle pour hurler aux ministres : "maintenant les gars, on arrête les conneries".
Fatalement, ceux qui ont connu les victoires de 1981 ou de 1997 ne pouvaient que comparer leurs souvenirs de la gauche arrivant au pouvoir avec ce que nous vivions collectivement en 2012.
S'agissant du "casting" des ministres, impossible de se sortir de l'esprit que ceux qui composent le gouvernement actuel étaient dans leur grande majorité étaient sur toutes les shortlists. Incontournables. Par leurs qualités, leur talents, leur centralité dans le dispositif du parti socialiste ou chez ses alliés. Certains en rêvaient depuis dix ans et ça se voyaient comme le nez au milieu de la figure ; ils l'auraient été en 2002 si on n'avait pas perdu.
Seul Besson fut incapable d'attendre son heure et, caractériel qu'il est, il se précipita du côté obscur.
On a beaucoup critiqué le poids excessif des énarques dans l'appareil d'Etat, des collaborateurs aux ministres. Il est certain que diriger les affaires du pays ne s'apprend sur les bancs d'aucune école si on arrive à comprendre que la politique est tout sauf une science exacte. Mais le cursus honorum est trop alléchant et la voie trop royale pour ne pas attirer des candidats qui peuvent intégrer ce milieu fermé où l'entresoi et la cooptation entre gens qui se reconnaisse parce qu'ils parlent la même langue - étrangère parfois pour ceux qu'ils sont sensés administrer - pour qu'on s'embarrasse d'une expérience politique nourrie de culture, de conflits, ou de réflexions politiques.
Ô bien sûr, il y a une poignée de jeunes parlementaires qui confondent l'hémicycle de l'Assemblée nationale avec un amphi d'AG étudiante, mais ce ne sont pas les pires. Ceux-là croient un peu dans la politique, même s'ils ne sont pas immunisés contre le cynisme ambiant : ils ont beau jeu de se plaindre d'un verrouillage du bureau national du PS ou du groupe parlementaire, ces gens qui eux-même pratiquent le contrôle étroit d'organisations de jeunesse.
Tout au plus on peut s'essayer au jeu de rôle en surfant sur l'écume des choses dans une organisation politique de jeunesse ou dans une section du PS.
De jeunes gens bien pressés
Eh oui, comparé à 1981 ou 1997, rarement la dépolitisation a été aussi grande dans les cabinets ou chez les collaborateurs politiques. Une inculture politique crasse, des carences en militantisme qui font peur. A l'évidence, ce n'est pas pour ça que les bataillons de la "gauche.gouv.fr" ont été recrutés, mais à la moindre crise, on verra la différence.
Ces enfants gâtés de la politique ne cachent pas leur cynisme, leurs ambitions ou leur appétit de pouvoir. Ils regardent plus de séries télévisées qu'ils ne lisent de gros livres - je ne parle pas des livres d'entretien de politiques avec des journalistes ou des bouquins trois cents pages torchés en trois jours afin de faire le buzz à la veille de tel événement. Dans le meilleur des cas, ils ont été séduits par les sept ou huit saisons de "the West Wing". C'est moins le sens de l'éthique dont fait preuve le président Bartlet que les jeux et la mécanique qui plaisent. Dans le pire des cas, frustrés de Borgia, ils savourent avec délectation House of cards où le cynisme est une esthétique, un mode de vie. Bien sûr, ils assurent avoir aimé Borgen, mais c'est un peu trop jospinien peut-être.
Pour illustrer cette triste réalité, il ne manquait plus qu'ils se mettent eux-mêmes en scène lors de la dernière université d'été du Parti socialiste.
Jeunesse dorée qui vient faire la tournée des bars et des boîtes, mais qui déserte les travaux. Ca prétend "remplir son carnet d'adresse", mais en vendant quoi ? A qui ? C'est vrai qu'une belle gueule peut abuser bien des naïfs, fussent-ils expérimentés.
"Tout tout de suite"
Abien des égards, on se dit que certains sont à gauche par hasard et que moyennant quelques ajustements, ils sont interchangeables avec une certaine bande de jeunes loulous de droite qui se croyaient les maîtres du monde au temps du sarkozysme triomphant.
Tony Montana est passé par là. La politique est devenue un business. On "mise" sur des valeurs jugées sûres, on occupe des places et comme on n'est jamais jugés sur son propre bilan, dans bien des cas, ça passe. Ils sont nombreux les imposteurs en politiques dont les œuvres complètes se résument à quelques petites phrases ici et des coups là.
Ils singent les comportements de certains de leurs aînés mais ils sont trop arrogants pour avoir l'humilité d'apprendre.
Et pourtant, aller au-delà de la communication, écouter et regarder le pays, s'imprégner de ce qui se passe et de la manière dont les gens vivent les choses au lieu d'expédier les réunions de travail avec tel ou tel "acteur de terrain" ou de se fier aux analyses bâclées de certains experts devrait suffire à façonner une pensée politique et des méthodes pour l'action.
Formons le vœu que l'épreuve des faits fasse son œuvre. Conduire les affaires de la France demande de l'humilité. Faire de la politique n'a de sens que si on ne perd jamais de vue ce pourquoi on milite.