Athènes,
par une chaude nuit d’été, cinq motards organisent une étrange course :
la chasse aux étrangers. Cette nuit du 11 août 2012 voit un jeune
irakien mourir des suites de ses nombreuses blessures provoquées par un
objet tranchant.
Athènes,
janvier 2013 dans le quartier de Pétralona, un immigré pakistanais est
retrouvé poignardé à l’aube. Deux suspects, âgés de moins de 30 ans,
soupçonnés d’être adhérents du parti néonazi Aube doré ont été arrêtés.
Athènes,
mai 2013, Ismaël a 14 ans et sort du métro quand il se fait violemment
agresser par trois hommes auxquels il a répondu, sous pression, qu’il
était d’origine afghane. Une perte de conscience et un visage tuméfié
par 30 points de suture plus tard, Ismaël témoigne de la violence subie.
Depuis
trois ou quatre ans, la Grèce a vu les attaques dirigées contre les
immigrés se multiplier avec une violence croissante. Dans les villes ou
dans les campagnes, la méthode est partout la même : coups, insultes,
blessures et humiliations envers les immigrés, sous la houlette d’Aube
dorée, le parti d’extrême droite grec ayant obtenu 7% des voix aux
élections législatives de juin 2012, soit 17 députés. Sous le silence
complice des autorités, ces attaques deviennent monnaie courante,
encouragées par les arrestations massives d’immigrés sans papiers
(légales ou clandestines), ceux-là mêmes qui sont désignés par Andonis
Samaras, l’actuel Premier ministre conservateur de « tyrans de la
Grèce ».
Sur
fond de détresse sociale, chaque jour qui passe voit la Grèce s’enliser
davantage dans une terrible mise à l’épreuve agrémentée de relents
nationalistes qui menacent la démocratie. Située aux portes de l’Europe,
la Grèce est une porte d’entrée des flux migrants puisqu’elle voit
passer plus de 80% des migrants qui souhaitent rejoindre l’Allemagne, la
Grande-Bretagne ou la France. Pointés du doigt, rejetés et agressés,
les immigrés ne sont pas les bienvenues en Grèce. Le racisme est
ambiant, la haine de l’autre quotidienne et la misère totale.
A
cela s’ajoute un bond du chômage qui passe de 9% fin 2010 à plus de 27%
début 2013. La crise et les politiques d’austérité ont mis le feu aux
poudres mais c’est un ensemble de facteurs qui ont amené à cette
situation : une politique migratoire européenne, une banalisation des
idées de l’extrême droite et l’austérité drastique qui frappe le pays
depuis déjà trop longtemps.
Le
point d’orgue a été atteint il y a de cela quelques jours, suite à la
réapparition grâce à l’investigation d’un journaliste grec : Kostas
Vaxevanis, fondateur de Hot Doc,
un magazine spécialisé dans les scandales politico-financiers, d’un
document transmis par Christine Lagarde en 2010. Ce document n’est autre
qu’une liste des 2059 grecs détenteurs de comptes au sein de la branche
suisse de HSBC à Genève, remise à la Grèce en 2010 et rendu publique en
2012. Le document révélait que près de 2 milliards d’euros étaient
détenus à l’étranger par des contribuables grecs, dont certains ont pu
ainsi frauder le fisc. Ce qui devait être une aubaine pour le
Gouvernement de l’époque, confronté à des déficits abyssaux fut enterrée
par les gouvernements successifs. Et pour cause : de nombreux
dirigeants grecs sont, directement ou indirectement, présents sur cette
liste. Face au climat tendu de l’époque, Evangelos Venizelos, actuel
patron du Pasok s’est justifié d’avoir caché cette liste lorsqu’il était
ministre de l’Economie du fait que « trois des noms étaient ceux de Grecs d’origine juive ».
Très
vite, la presse nationaliste et populiste s’est concentrée sur le
gestionnaire du compte le plus important (550 millions d’euros) détenus
en Suisse. Il s’agit d’un hedge fund
créé par l’homme d’affaires Sabby Mionis, un juif grec aujourd’hui
installé en Israël, fond revendu en 2006, l’année où il quitte la Grèce.
Ce qui choque, c’est que la liste en elle-même ne semble pas poser
davantage de problèmes, c’est plutôt le « juif » qui semble faire
l’objet de toutes les attaques, surfant ainsi sur un antisémitisme qui
trouve un certain écho en Grèce.
Cette
campagne nauséabonde est menée de front par Makis Voridis, ex-dirigeant
du Front Hellénique ayant tenu à de nombreuses reprises des propos
négationnistes, grand admirateur de Jean-Marie Le Pen et aujourd’hui
porte-parole du groupe parlementaire de la Nouvelle Démocratie. La
prégnance de l’extrême droite se fait chaque jour davantage ressentir et
ébranle de façon significative la Grèce et la capacité de l’Union
Européenne à garantir la paix, la démocratie, la promotion des droits de
l’Homme et la solidarité entre les peuples.
La
crise économique ne peut expliquer à elle seule un tel déferlement. Au
travers de ces faits inquiétants, c’est toute la question de l’accueil
et de l’intégration des minorités qui est en cause. Le fait même que le
terme « minorités » soit toujours d’actualité souligne bien le chemin
restant à parcourir. Aujourd’hui encore, un immigré, quel qu’il soit,
reste une « minorité » dans beaucoup de pays en Europe.
La Grèce, la Hongrie, l’Ukraine, le Royaume-Uni ou encore l’Italie ont
tous en commun une montée inquiétante, effrayante de l’extrême-droite,
nourrie par la crise économique et par le repli identitaire
protectionniste propre à ce genre de période qui pousse les individus à
rechercher des boucs émissaires et un leadership fort. Les alliances de
la droite avec les extrémistes sont de plus en plus visibles, de plus en
plus assumées et de plus en plus recherchées. Les médias, par le
traitement qu’ils font de l’information et par la tribune médiatique
qu’ils offrent aux responsables politiques des mouvements extrémistes
légitiment leurs actions et leurs propos.
Le
populisme a le vent en poupe : la dénonciation des élites dirigeants et
la survalorisation du peuple n’a jamais été aussi pratiquée dans les
pays d’Europe. Si la dimension protestataire peut s’expliquer par le
contexte actuel, la dimension identitaire n’a, elle, aucun fondement si
ce n’est le rejet de l’autre.
La
montée de l’extrême droite n’est pas une fatalité, la résignation et la
fuite ne peuvent être une solution. Il est impossible de fermer les
yeux face à cela et c’est notre responsabilité de nous lever pour dire
NON.