Le discours dominant porté par une partie des médias, par la droite et par certaines institutions internationales, telles que le FMI ou l'OCDE, semble accréditer la thèse selon laquelle le modèle social français serait irrémédiablement dépassé, symptôme d'un État devenu obèse. Cette idée trahit en réalité, une volonté de retour en arrière dans la construction du modèle français de protection sociale qui serait, selon les conservateurs, dépassé. Or, il est urgent de prendre conscience que ce modèle protège, préserve et constitue le rempart contre les extrémistes de tous bords.
Ce modèle est d'abord fondé sur la valeur de fraternité, troisième pilier de notre République. Il vise à mutualiser une partie des ressources des Français pour assurer une protection universelle contre le risque de maladie et d'accident du travail. La protection sociale s'est également donnée pour objectif de stimuler la natalité par l'octroi de prestations incitatives et d'assurer aux inactifs des revenus de remplacement susceptibles de leur maintenir un niveau de vie décent.
En cela, le modèle social français a pleinement réussi. En un demi-siècle, il a en effet permis de réduire des inégalités de niveau de vie entre actifs et retraités qui étaient très élevées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il contribue au dynamisme de la natalité française, avec une moyenne de 1.9 enfants conçus par femme, ce qui confère à notre pays un avantage comparatif par rapport à nos partenaires européens tels que l'Allemagne, qui compte 1.4 enfants par femme. Il constitue enfin un stabilisateur automatique en période de crise et a notamment fortement compensé, sinon limité, la perte de pouvoir d'achat des classes moyenne et populaire depuis 2008 et ainsi évité une baisse brutale de leur consommation.
Le modèle social français a donc réussi et c'est pourquoi il continue à inspirer autour de nous. Aussi, la chancelière allemande, réélue en partie pour la tonalité sociale donnée à son programme, rognant par là même les thèmes chers au SPD, a-t-elle encouragé la conclusion d'accords de branches entre partenaires sociaux pour la définition de salaires minimums. L'adoption d'un salaire minimum européen, proportionnel
au revenu médian dans chaque État membre, sera d’ailleurs à l'agenda des élections européennes de 2014 à l'initiative du Parti socialiste européen. Cette Europe sociale que nous appelons de nos vœux pourrait également comprendre un mécanisme d’assurance-chômage géré au niveau de la zone euro et apportant un complément aux dispositifs nationaux. Ces éléments sont autant de pierres à l’édifice du statut social européen, inspiré en grande partie de ce qui peut exister en France. Celui-ci permettrait d’homogénéiser les dispositions préexistantes dans les Etats tout en garantissant une cohésion sociale européenne.
Le modèle social inspire aussi outre-Atlantique, où le président américain Barack Obama a allongé, dès le début de la crise, la durée d’indemnisation pour les demandeurs d’emploi de sorte que la consommation américaine ne s’effondre pas. Il a de même fait voter une réforme du système d’assurance-santé qui en étend le champ des bénéficiaires et permet de réaliser de substantielles économies dans un contexte où le système d’assurance privée coûte beaucoup plus cher que le modèle public, alors même qu’il précarise et exclut des pans importants de la société américaine.
Ce modèle social se diffuse également aux pays émergents puisque les prestations sociales se développent au Brésil, que Taiwan vient d'adopter un mécanisme de retraites par répartition et que les dirigeants chinois devraient faire de même dans les prochaines années pour accompagner l'évolution démographique de leur pays.
Bien sûr, notre modèle social comporte également bien des archaïsmes et des rigidités. Une simplification du droit du travail et de la sécurité sociale serait à cet égard bienvenue pour en réduire le coût pour la collectivité et faire disparaître, ou à tout le moins atténuer, la dualité d'un marché du travail divisé entre salariés relativement protégés et travailleurs précaires ou en recherche d'emploi. Outre la réorientation des prestations pour en améliorer l’efficacité, baser les cotisations sociales sur l’impôt, par exemple, permettrait de mettre en œuvre une plus grande justice sociale tout en améliorant le niveau des prestations proposées. De plus, le mécanisme de la formation professionnelle fera ainsi l'objet d'une négociation entre partenaires sociaux à la fin de l'année de sorte que ses fonds (30 à 40 Mds) aillent d'abord vers les demandeurs d'emploi qui recherchent une reconversion (seulement 10% finance la formation des demandeurs d’emploi).
Il nous appartient de mieux assurer la soutenabilité de notre modèle social car il nous apparaît irresponsable de léguer aux générations futures le financement de prestations versées aujourd’hui. C’est le sens de la réforme de notre modèle de retraites par répartition qui doit permettre de réduire d’un tiers le déficit de la branche vieillesse à l’horizon 2020 et de mieux prendre en compte la pénibilité et la spécificité de carrières parfois hachées. C’est également le sens des mesures prises pour diminuer le plafond du quotient familial et réduire ainsi de 2 Mds le déficit de la branche famille.
Bien sûr, on peut toujours juger ces dispositifs insuffisamment ambitieux ou contraints par un contexte budgétaire restrictif. Mais la rhétorique de la réforme ne doit en toute hypothèse pas cacher, chez ceux qui la reprennent à droite, une volonté de démanteler le modèle social. Les récentes propositions de l’opposition relatives à l’introduction d’une dose de capitalisation dans notre système de retraites ou à la remise en cause du principe de l’universalité des prestations nous semblent ainsi incompatibles avec l’objectif de solidarité du modèle social français.
Ce modèle social n’est pas responsable de la crise financière. Il est tout au contraire l’amortisseur qui a permis de maintenir le niveau de vie des Français durant cette période difficile. C’est pourquoi la gauche doit réformer le modèle social français pour le consolider et non pour le démanteler. C'est tout le sens du « nouveau modèle français » vanté par le Premier ministre et dont nous souhaitons ici l'avènement.
Rayan